Eric Arsenault Architecture



D’A Juin 1999

Ma première réaction aura été pour nos dirigeants : mais qui nous gouverne ? Lorsque l’Ordre, les syndicats, la MIQCP, les professionnels, les maîtres d’ouvrages et peut-être même notre ministre (?) récusent dans leur grande majorité une directive que l’on nous annonce comme immuable pour plusieurs années, dans quelle démocratie européenne sommes nous ?

Qu’on vienne me l’expliquer et me dire pour qui voter…

Lorsque l’origine de l’anonymat semble être une différence d’interprétation de texte entre un fonctionnaire de la Commission centrale des marchés qui, au regard de la directive des services, admettait de lever l’anonymat pour auditionner les concurrents et un autre lui succédant ne l’admettant plus, avec les incidences que l’on connaît, je crois rêver…

Vous l’aurez compris, je réfute cette directive, en voici quelques arguments …

Tout d’abord, est-ce suite à un constat d’incapacité et de médiocrité de la part des architectes à s’exprimer devant leurs projets que l’on a décidé de légaliser la chose pour leur interdire la parole ?

Non, je présume que la directive vise à corriger l’attitude d’un mauvais jury qui aurait d’emblée des épanchements pour tel ou tel architecte avant même d’avoir pris réellement connaissance avec sa proposition. Anonymer les architectes d’un concours serait donc valider l’incompétence d’un jury ? Mais il est vrai que nous sommes à une époque où aux mauvais automobilistes on répond par une bonne coupe de platanes…

Car si l’on va au bout de la directive et de ce que serait son aboutissement idéal, que vise t’on avec cet anonymat ? Ou bien une homogénéité de projets et d’expression des projets (AVNI : Architecture Vide Non Identifiée) ou bien une relative inculture de la part des membres du jury, incapables de rattacher à leurs auteurs les trois ou quatre projets présentés.

Là je dis bravo, belle utopie, plus le jury sera inculte, plus l’architecture sera inexpressive, mieux seront atteints les objectifs de la directive européenne.

N’est-ce pas hypocrisie à l’ère de la communication instantanée que de feindre la non identification de trois ou quatre architectes ? Sommes-nous devenus les sans papiers de la profession ? La prochaine étape n’est elle pas la suppression de l’architecte (trublion d’un rouage bien graissé) ?

Quand il est écrit sur les programmes de concours : « … aucun signe permettant d’identifier le candidat ne devra figurer sur les documents … » n’est ce pas tout le contraire qui devrait être prôné ?

Alors, à quand le festival de Cannes anonymé ? A quand les victoires de la musique anonymes (on passe des voix déformées pour ne pas reconnaître) ? Bon, je lâche l’idée : à quand des élections anonymes sur la base de programmes électoraux (il y aurait des surprises !) ?

Allons, allons, mesurons l’étendue du ridicule et de l’appauvrissement culturel que nous engendrons avant qu’il ne nous avale. Où se situe la limite du signe distinctif entre l’individu, sa présence, sa voix, sa signature, son trait…Dans ce cas seule la bêtise est un signe distinctif.

Mon conseil pour finir : lors des projets de concours, ayez envie de faire apparaître votre nom en gros sur les façades de vos projets !

Eric Arsenault, architecte.