« Que donne-t-on si l’on ne donne pas de temps ?  »
Cette phrase récemment entendue dans un film (Danse avec lui) a été un choc pour moi. En effet elle constituait la base d’une réflexion au cœur de mes préoccupations : la gestion du temps.
A l’ère de toutes les communications en général et d’internet en particulier, la question de savoir où donner du temps se pose plus que jamais aujourd’hui. Trier l’information, l’accepter, la refuser : on ne peut pas tout lire, ni tout absorber, c’est impossible. Alors un sixième sens doit être mis en œuvre (rarement valorisé par les médias celui là ) : l’intuition et le bon sens. Eux seuls nous permettront de faire la synthèse et les choix qui nous correspondent. Encore faut-il les mettre en œuvre.
A qui donner ? Je répondrais simplement qu’il faut penser à être généreux avec les autres, et avec soi. Lorsque les deux s’accordent la réponse est proche. Facile à dire !
Pour preuve, Jancyr* m’a récemment donné une belle leçon d’humilité : à moi qui était venu faire un repérage des lieux avant l’expo, Jancyr me propose de m’asseoir pour discuter un coup. Quoi de plus naturel ? Et me voilà de lui répondre que je n’avais pas vraiment le temps. Faut-il être culotté de répondre ainsi à un homme qui vient de consacrer (bénévolement) des semaines au montage d’une expo pour nous recevoir ? Jancyr me glisse alors très doucement (ironique) « c’est vrai moi aussi je n’ai que ça à faire de préparer l’expo  ». Knock Out (KO). Là je me suis dit à moi-même, tu déconnes mon ptit gars…et je me suis assis. De toute façon sa réponse m’avait littéralement assis et j’ai ainsi passé avec lui une excellente demi-heure apprenant alors beaucoup sur le développement artistique local !
Je dis souvent que le temps passé sur un projet est gage de qualité. Prendre le temps. Prendre du temps pour réfléchir, pour se poser des questions, pour aimer, pour s’enthousiasmer. Il n’y a que ça de vrai dans la qualité d’un projet. Le temps qu’on y a passé. Ni trop, ni pas assez : le temps juste (question d’intuition et de bon sens !).
Nous les architectes on n’est pas des machines sur lesquelles on appuie pour sortir un projet, ce serait d’ailleurs un vrai gâchis que de pouvoir agir ainsi. Car avec le temps je me rends compte que la force d’un projet réside justement dans le chemin parcouru pour le réaliser.
J’ai donc décidé pour cette « dernière expo de Jancyr  » de présenter le plus petit de mes projets actuels, mais qui n’en n’a pas moins fait l’objet de toute mon attention avec du temps passé comme il se doit pour le mettre au point. Il n’y a pas de petit projet disent avec justesse certains architectes, seulement des petits esprits ajouteront certains autres !
Au départ, c’est un simple abri pour une piscine intérieure*. A l’arrivée c’est toujours un abri pour une piscine. Entre temps des heures passées avec les clients pour aboutir l’extension d’une maison (j’ai vite réalisé qu’on touchait là quelque part à l’aboutissement d’une vie, en tout cas d’un temps fort pour eux et que ça méritait d’être respecté).
Ainsi ont été réfléchis maintes fois proportions, matériaux, recherche d’un charpentier acceptant de réaliser une charpente métallique cintrée, recherche d’un serrurier fournissant de grands vitrages sans recoupement, détails de raccords murs/toits/eaux pluviales, détails de menuiseries, de pare-closes, de raccords de caillebotis sur la piscine, de margelles, essais de couleurs, de lasure intérieure (le projet est toujours en cours à ce niveau), alignement de joints des briques, calepinages, prototype inédit de pergola avec toiles tendues et révision de la mise au point après les premières pluies…
Ainsi ce projet a mà »ri et s’est développé sur trois ans, laissant ainsi le temps de la digestion se faire entre chacune des étapes – un vrai luxe pour un projet et je ne peux que saluer la totale confiance que les clients m’ont accordée.
Au détour d’une conversation, les clients me dirent qu’après la livraison du projet, ils avaient délaissé la TV le soir, simplement pour s’asseoir et profiter de l’espace – sans compter leur nouveau mode de vie consistant à nager tous les matins avant d’aller au travail…
A mon sens plus de 50% de la réussite d’un projet se joue dans le rapport entre l’architecte et ses clients. Ce point est bien souvent éludé, on ne peut que le regretter. Car contrairement à ce qui se passe dans les autres formes d’art, l’architecte ne met pas en vente sa production, il doit composer avec son client pour la faire exister.
Quant aux photos, superbes, de Deschanel elles sont là pour dire : allez visiter. Car ce qui est ici montré n’est pas de l’architecture, ce sont des photos. C’est bien là le drame : se contenter de visiter des photos, si belles soient-elles. L’architecture se vit dans 3, 4 ou 5 dimensions (si on inclut le déplacement, le temps, les odeurs, le son…). J’insiste, car la tendance actuelle du zapping serait de se satisfaire de photos en lieu et place des bâtiments eux-mêmes. Nous les architectes de l’exposition serons donc les seuls à ne pas exposer les originaux !
Il n’en reste pas moins que Deschanel touche au summum avec ces dernières photos, comme œuvres à part entière (lire texte de l’autre côté du poteau).
Merci à tous pour cette aventure, merci aux aventuriers
Merci à Jancyr qui sème son temps dans nos cœurs, et que nous récoltons dans nos paysages
Nevers, le 4 Novembre 2009
Eric Arsenault, architecte